Edito du biopresse

Dans le cadre d'un cycle de séminaires recherche - développement en agriculture biologique, l'Inra ouvre les débats avec les acteurs de l'AB sur les prochains appels à projets et sur son engagement dans les méta-programmes. Ce cycle de séminaires, annoncé par François Houiller, Président de l'Inra, lors du salon de l'agriculture, a pour objectif de clarifier la mobilisation indispensable au développement de filières biologiques.

Lors du premier séminaire du 16 septembre, nous avons pu apprécier un engagement important des chercheurs de l’Inra sur le nouvel appel à projets, même si certaines lacunes persistent en termes de sujets abordés. On peut en particulier noter une faible prise en compte de la caractérisation et du financement des approches systèmes.

Cependant, des éléments de rémunération pour valoriser les aménités positives de nos systèmes agricoles bio sont indispensables pour faire évoluer les dispositifs d'accompagnement publics. Que ce soit la mesure « soutien à l'AB » du futur Plan de développement rural ou de manière plus générale les nouvelles MAEC (1), les agriculteurs bio sont toujours en attente d'une vraie valorisation de l'approche "système " par nos responsables politiques, notamment par la commission européenne.

La recherche est donc toujours aussi indispensable pour valider ces approches, les seules en mesure de préserver des systèmes exemplaires au niveau environnemental, social et économique.

Etienne Gangneron, responsable bio des Chambres d'agriculture (APCA)

(1) Mesures Agro-environnementales et climatiques


Pour nombre de candidats à l’installation, l’accès au foncier constitue une difficulté majeure. Pourtant, avec un agriculteur en activité sur cinq qui avait plus de 60 ans en 2010 (Sources : SSP, Agreste, recensements agricoles), les départs en retraite se multiplient, laissant libres exploitations et terres. Alors, pourquoi est-ce si difficile de trouver son lopin de terre ?

Tous les sept ans, l’urbanisation grignote une surface agricole équivalente à celle d’un département. Celle-ci, outre le fait de faire disparaître des terres agricoles, peut conduire à un phénomène de rétention de terres par certains propriétaires, notamment dans les régions très prisées où la pression foncière se fait de plus en plus forte. Pourquoi vendre une terre agricole à 5 418 euros/ha (chiffre 2012, Safer) alors qu’on pourrait en tirer 67 000 euros/ha (chiffre 2012, enquête sur le prix des terrains à bâtir (EPTB), Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie) si elle devient constructible ?

Ces phénomènes, entre autres (agrandissement de fermes existantes…), rendent difficiles les installations agricoles, et certains candidats peuvent attendre parfois plusieurs années avant de trouver une exploitation et des terres adaptées à leur projet. Ceux qui font le choix de la bio sont particulièrement concernés : un certain nombre d’entre eux s’installent hors cadre familial (30 % des candidats à l’installation de moins de 40 ans toutes agricultures confondues), donc sans capital foncier de départ. Pour d’autres, leur projet porte sur de petites surfaces (maraîchage, petits élevages), en décalage avec les grosses exploitations de plusieurs dizaines d’hectares qui se libèrent.

Pourtant, des outils réglementaires existent pour protéger nos terres agricoles de cette artificialisation : SCo, PLU, PAEN, ZAP… Les sigles se multiplient, mais les connaît-on vraiment ? Et connaît-on suffisamment leur potentiel ? Il semblerait que non. Les élus ont notamment la possibilité de classer les terres agricoles et d’assurer leur pérennité, en créant des Périmètres de Protection et de mise en valeur des Espaces Naturels et Agricoles Périurbains (PAEN), ou des Zones Agricoles Protégées (ZAP). Ceux qui ont franchi le pas reconnaissent pleinement l’efficacité de ces outils, encore trop peu utilisés, et pour lesquels les moyens financiers sont encore trop faibles.

Mais, ce ne sont pas les seuls à pouvoir agir. Partout en France, et ailleurs, les expériences se multiplient à l’initiative d’organismes agricoles, d’agriculteurs, mais aussi de citoyens ! Les achats de fermes, par exemple, par les communes ou en récoltant de l’épargne solidaire (par des GFA, l’association Terre de Liens…), permettent de garantir le maintien de l’activité agricole de ces exploitations.

La préservation du foncier agricole n’est pas qu’une question agricolo-agricole, loin de là. C’est une question de société qui nous concerne tous : agriculteurs, élus, citoyens… !

Dans le cadre du projet « Développement des filières biologiques du Massif Central pour répondre aux besoins de la restauration hors domicile (RHD) », porté par le Pôle Agriculture Biologique Massif Central, ABioDoc a réalisé une synthèse sur le foncier agricole que vous pouvez télécharger gratuitement, si vous souhaitez en savoir plus, sur le site www.abiodoc.com, rubrique La documentation/Documents édités par ABioDoc/Synthèses et rapports.

Aurélie BELLEIL, Chargée de mission à ABioDoc


Auparavant, et dans un temps pas si lointain, la connaissance était produite par des élites (les scientifiques), qui la transmettaient aux personnes relais (en agriculture, les techniciens) jusqu’aux citoyens de base (les agriculteurs). De même, les décisions d’orientations étaient prises par des élites, qui eux savaient mieux que les autres les choix qui étaient les bons.

En agriculture, l’itinéraire technique du blé, par exemple, était le même pour tous, avec quelques variantes régionales que connaissait le technicien : appliquer tel fertilisant / désherbant à telle dose à tel moment…

Aujourd’hui, les problèmes environnementaux et de santé publique remettent en cause ce schéma. Il ne doit plus y avoir un itinéraire identique pour tous, mais l’adapter à chaque région, chaque système d’exploitation, chaque parcelle… Et ça complique énormément ! La difficulté de l’agriculture biologique dans ce domaine devient la difficulté de l’ensemble de l’agriculture. Et il faut alors remettre en cause le schéma précédent et tenir compte de chaque expérimentation ou observation du terrain, susceptible d’être utilisée ailleurs. L’itinéraire technique de mon blé utilisé dans une zone géographique de sols fins et caillouteux (oui, c’est un peu limite pour le blé !) sera susceptible d’intéresser une exploitation située dans une zone totalement différente mais qui dispose de peu de terres labourables dont certaines ayant ces caractéristiques. Et si cette exploitation recherche l’autonomie alimentaire de son troupeau de moutons (par exemple) et souhaite cultiver ces terres malgré leur faible potentiel, elle sera fortement intéressée par l’expérience de la première région.

Du coup, la connaissance est partout et elle est susceptible de servir au plus grand nombre. Et du coup, il faut revoir les schémas de transfert de l’information. Et dans ce domaine, nous devons passer, comme l’écrit le philosophe Michel Serres dans « Petite Poucette », d’une présomption d’incompétence à une présomption de compétence. Nous devons passer du temps des bureaucrates, professeurs, scientifiques… qui savent et qui « imposent leur puissance géante en s’adressant à des imbéciles supposés, nommés grand public », au temps des citoyens informés par Internet, les réseaux sociaux et par leur propre expérience et qui « pourront et peuvent détenir au moins autant de sagesse, de science, d’information, de capacité de décision » que ceux qui détenaient auparavant le savoir.

Au niveau de l’agriculture biologique, on peut constater que les associations (syndicats d’agriculteurs, de transformateurs et distributeurs…) font entendre leur voix, au milieu de celles des chercheurs, organisations professionnels, instituts… tant aux échelles locale que nationale ou européenne. Cela conduit parfois à des tensions ou des cacophonies mais, d’une part, on ne change pas un système aussi facilement et, d’autre part, lorsque les voix s’organisent entre elles, il me semble qu’elles sont de plus en plus écoutées par ceux qui prennent les décisions. C’est notamment le cas d’Ifoam France et de son action à l’échelle européenne.

Ce contexte suppose de nouvelles organisations d’acteurs pour identifier, collecter, stocker et diffuser l’information. C’est ce qu’ABioDoc et le Pôle AB MC se proposent de tester, à l’échelle Massif Central, dans le cadre d’un projet intitulé BioTransfert, et à l’échelle nationale, dans le cadre du projet Valomieux piloté par l’ITAB et auquel participent aussi Formabio et IBB (Initiative Bio Bretagne). Beaucoup d’éléments restent à construire, à inventer, dans un monde où les nouvelles technologies offrent des possibilités inégalées auparavant…

Sophie VALLEIX

Responsable d’ABioDoc


Le colloque DinABio, qui a eu lieu les 13 et 14 novembre à Tours, avait pour objectif de diffuser et mettre en débat les acquis récents des recherches en agriculture biologique. De nombreuses interventions ont eu lieu, soit en plénière, soit en ateliers. L’importance de renforcer la dissémination des résultats de la recherche est ressortie à plusieurs reprises, ce qui suppose à la fois le transfert, mais aussi l’adaptation au public visé. Les innovations provenant également du terrain, et notamment des agriculteurs, il a aussi été relevé la nécessité de bien collecter et diffuser cette connaissance. Toutes ces informations doivent parvenir aux acteurs de l’agriculture biologique, en particulier aux agriculteurs, mais également aux acteurs conventionnels et aux agriculteurs intéressés par une conversion. Or, l’accompagnement de la conversion n’est pas toujours évident. Si les verrous techniques existent, ces derniers représentent rarement un vrai blocage. Ils sont même souvent plus un prétexte qu’un réel problème. En effet, la conversion entraîne de nombreux changements et modifie la relation au métier. Aussi, la recevabilité de ces changements est une valeur primordiale dans la décision ou non de se convertir à la bio. L’accompagnement doit alors être autant social que technique. Les techniciens/animateurs doivent avoir conscience de ces enjeux. Ainsi, le volet collectif est très important dans l’accompagnement au changement. Néanmoins, si ces dynamiques sont au coeur de l’accompagnement des groupements de producteurs, elles sont aussi souvent plus longues à mettre en place que les démarches individuelles. Il faut également avoir en tête que les rythmes de conversion des agriculteurs sont très variables et peuvent aller de 6 mois à 10 ans, chaque individu ayant sa propre trajectoire, liée à sa situation personnelle et au contexte local. Des études montrent que les intentions d’installation en AB sont d’autant plus nombreuses dans une zone géographique que le nombre d’agriculteurs bio présents sur la zone est important. La présence d’un aval organisé peut aussi être déterminante selon le mode de commercialisation choisi par l’agriculteur.

Par ailleurs, les motivations à la conversion bougent. Aussi, la question se pose de savoir comment les intégrer dans les analyses et dans les démarches d’accompagnement (à adapter au cas par cas et évolutives dans le temps)…

Sur ces réflexions, les équipes d’ABioDoc et du CETAB+ vous souhaitent de joyeuses fêtes de fin d’année. Et, mangeurs de produits biologiques, ne vous inquiétez pas trop pour la dinde et les chocolats, car l’étude NutriNet-Santé, réalisée sur un panel de 54 000 consommateurs (notice 194-010/thème recherche), a montré que les consommateurs bio étaient significativement moins nombreux à être en surpoids ou obèses! Quoi qu’il en soit, soyez heureux!

Sophie VALLEIX

Responsable d’ABioDoc

Numéro 194 - Novembre 2013


Les journées 2013 du réseau Formabio, le réseau des enseignants et formateurs en AB, animé par la DGER (Direction générale de l’enseignement et de la recherche du ministère de l’Agriculture) ont eu lieu au lycée Nature de la Roche sur Yon (85), du 16 au 18 octobre. En clôture, Yannick Meneux (DGER) s’est interrogé sur le lien entre l’agriculture biologique et l’agro-écologie présentée par le ministre Stéphane le Foll. Ce qui amène à se demander ce qu’est l’agriculture biologique aujourd’hui ? Un projet global et un projet de société, selon la vision d’Ifoam (la fédération internationale des mouvements bio) ou celle de l’association Nature et Progrès par exemple ? Ou seulement un label qui respecte un cahier des charges, avec des procédures de production et de transformation ? Pour de nombreux acteurs impliqués dans la bio, celle-ci porte encore aujourd’hui en elle les valeurs présentes lors de sa création, notamment en termes d’approche globale, de respect de l’environnement, de recherche d’autonomie, de vision sociale, de transparence, d’équité… Mais ces valeurs ne sont pas partagées par tous les intervenants de l’agriculture biologique, ni par l’ensemble de la population et, pour certains, la bio est devenue un argument marketing avant d’être une vision pour le présent et pour l’avenir. Ainsi, le projet agro-écologique pour la France pourrait, en ne répondant à aucun cahier des charges ni à aucune définition très précise, en étant porteur de moins d’historique et d’absence de stigmatisations, reprendre certains aspects de la vision et des valeurs de l’agriculture biologique, tout en étant accepté par un nombre bien plus important d’acteurs du monde agricole. Néanmoins, le ministre l’a expliqué à plusieurs reprises, l’objectif n’est pas de phagocyter la bio, mais bien de l’utiliser comme une source d’innovations dans tous les domaines et de permettre, par l’intermédiaire du projet agro-écologique, de transférer ses techniques dans l’ensemble de l’agriculture, ainsi que de favoriser les transferts de l’agriculture conventionnelle vers la bio. Le projet agro-écologique pourrait-il également permettre de diffuser des valeurs chères à l’agriculture biologique dans le monde agricole et dans l’ensemble de la société ? Rien n’est acquis et les acteurs de la bio doivent rester vigilants pour défendre, dans la filière agricole et dans celle de la bio en particulier, les valeurs qui ont prévalu aux origines de l’agriculture biologique.

C’est notamment le travail que réalise Ifoam France, le groupe national d’Ifoam monde, pour défendre, à l’échelle française et européenne, les valeurs originelles de la bio dans les choix réglementaires et politiques. Par ailleurs, Ifoam France joue également un rôle de diffusion de connaissances à l’ensemble de ses adhérents, ainsi qu’un rôle de concertation pour les décisions à prendre. Le 10 octobre, un CA d’Ifoam France portait sur la certification de groupe. En effet, la Commission européenne s’interroge sur une éventuelle mise en place de certifications de groupe, avec pour objectif de permettre l’accès à la certification de groupe pour les petits producteurs. La certification de groupe pourrait aussi réduire le volet administratif pour les agriculteurs et apporter une dynamique collective. Lors de la réunion, Ecocert a présenté le système de certification de groupe dans les pays tiers (pour des groupes ayant une même production et des fermes proches géographiquement), le Synalaf a décrit les contrôles en volailles de chair Label rouge, puis Nature et progrès a présenté les systèmes de garantie participatifs, ainsi que la procédure des contrôles à Nature et Progrès.

Les interrogations que posent cette certification de groupe en Europe sont multiples : critères pour les « petites exploitations », risque de déstabilisation de certains marchés si des particuliers peuvent vendre leurs produits bio aux côtés d’opérateurs professionnels certifiés, quid des certifications verticales (avec des entreprises notamment), gestion de la diversité des produits sur les fermes européennes… Pour le moment, les points et systèmes à défendre ne sont pas encore définis clairement, mais le contexte et les enjeux sont mieux connus des membres d’Ifoam France qui seront plus rapides à intervenir le moment venu…

Sophie VALLEIX

Responsable d’ABioDoc

Numéro 193 - Octobre 2013


Comme tous les deux ans, le salon Tech & Bio, qui s’est tenu dans la Drôme les 18 et 19 septembre dernier, a été l’occasion de rencontres, de suivi de démonstrations et de conférences. L’une de ces conférences portait sur « L’accompagnement des agriculteurs vers l’AB ». Elle reprenait notamment les résultats d’un programme de recherche mis en place en région Rhône-Alpes (réf 192-151, page 42 de ce Biopresse), dont une étude réalisée par l’Irstea Grenoble et présentée par Sophie Madelrieux, qui visait à comprendre ce qui conduit des agriculteurs à s’engager dans la certification AB. Les raisons en sont multiples (enquête auprès de 18 exploitants): demande de clients, réaction face à un imprévu, opportunité, résolution de tensions. Dans ce dernier cas, les exploitants sont pris dans des tensions d’ordre économique et/ou identitaire (image du métier, image de soi) et le passage à l’AB permet de résoudre ces tensions, en donnant un sens au métier, en mettant en cohérence les pratiques agricoles et le mode de vie familial… Les passages à la bio, même pour des raisons économiques, amènent certains agriculteurs à cheminer dans leur démarche et à continuer à faire évoluer leur système après la certification, modifiant également leurs habitudes familiales. Pour ceux-là, l’accompagnement est très important, de la part des techniciens ou des autres agriculteurs bio, tant sur les volets techniques qu’éthiques.


Sans cet accompagnement, certains agriculteurs décident de sortir de l’AB. Ces « décertifications » ont fait l’objet d’une autre étude. Parmi ces sorties de la bio, figurent des agriculteurs déjà très impliqués dans les principes de la bio et qui ne se retrouvent pas dans le cahier des charges bio européen tel qu’il est proposé ou dont les relations avec leur OC se sont dégradées. D’autres ont du mal à soutenir leur passage à la bio dans leur environnement proche (professionnel ou familial), et ce, d’autant plus s’ils sont confrontés à des problèmes économiques. Les difficultés économiques peuvent, par ailleurs, directement conduire des exploitants à sortir de l’AB, dès la 1ère ou la 2ème année de conversion. Enfin, la dernière catégorie d’agriculteurs sort de l’AB du fait de changement dans la combinaison des activités sur l’exploitation qui ne sont pas liées à l’AB. Parmi les 18 exploitants enquêtés après leur sortie de l’AB, l’étude révèle que les 2/3 d’entre eux sont restés dans un mode de production proche ou très proche du bio. Même si le phénomène reste limité, il est néanmoins nécessaire de s’interroger dessus.


L’étude a montré que les procédures de certification, les contrôles et les cahiers des charges génèrent des mécontentements pouvant provoquer la sortie de l’AB. Ces procédures sont-elles à faire évoluer ? Par ailleurs, les implications du passage à l’AB ne sont pas toujours anticipées correctement et induisent des sorties précoces (avec le problème notamment des firmes qui guident les exploitants en aval…). Ainsi, les enjeux du passage à l’agriculture biologique doivent-ils bien être envisagés : redonner du sens, permettre une meilleure autonomie, sortir de la routine, trouver sa place dans un nouvel environnement. Le passage à l’AB demande une capacité à prendre des risques et à gérer des aléas, ce qui est plus facile si l’agriculteur est intégré dans des réseaux, afin d’être rassuré sur ses diagnostics et accompagné dans ses apprentissages. L’accompagnement dans la durée des exploitants convertis à l’agriculture biologique s’avère être réellement une nécessité…


Sophie VALLEIX
Responsable d’ABioDoc

Numéro 192 - Septembre 2013


Le gouvernement du Québec dévoilait récemment sa très attendue politique agroalimentaire, intitulée « Politique de souveraineté alimentaire ». Le document de 48 pages a un ton très ambitieux et promet de marquer « les débuts d'une nouvelle ère » et, entre autres, de porter à 50% la part des aliments achetés par les Québécois qui proviennent du Québec. Bien que le développement durable soit un des quatre axes identifiés dans la politique, on n'y trouve aucun engagement formel envers le mode de production biologique, pourtant reconnu comme un contributeur significatif au développement durable dans une étude du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, en 2011. Des liens peuvent tout de même être faits entre le secteur biologique et plusieurs objectifs et enjeux évoqués dans la politique.

La politique reconnaît que les progrès doivent se poursuivre dans « l'utilisation rationnelle des fertilisants et des pesticides » (p. 39). La recherche faite en agriculture biologique sur les techniques de répression des ravageurs et de désherbage mécanique, par exemple, contribue à l'atteinte de ces objectifs et mérite d'être soutenue.

Le document évoque le fait que certains consommateurs choisissent leurs aliments en fonction du mode de production et autres critères éthiques : « Les initiatives visant à faire connaître et reconnaître ces caractéristiques doivent donc être plus nombreuses et permettre aux aliments du Québec de se démarquer encore davantage », peut-on lire en page 25. Le secteur biologique aurait effectivement avantage à faire mieux connaître les attributs des aliments biologiques auprès des consommateurs. Par ailleurs, le gouvernement reconnait que les gens sont soucieux de savoir ce qu'ils mettent dans leur assiette et voudrait « mieux renseigner et informer les Québécois de manière qu'ils puissent faire des choix de consommation éclairés » (p. 27). Voilà peut-être une porte ouverte pour l'étiquetage obligatoire des OGM, réclamé depuis longtemps par une majorité de Québécois.

Le gouvernement entend participer au développement durable « en favorisant l'approvisionnement responsable dans les institutions publiques ». Si la qualité des aliments biologiques pour la santé des consommateurs et de l’environnement était mieux reconnue, ils auraient une chance d'être privilégiés. Chose certaine, l'engouement pour l'achat québécois est bien présent. Le nouveau logo « Aliments du Québec Bio » est sans doute un bon moyen de promouvoir le produit biologique québécois, car le logo « Aliments du Québec » est déjà le logo alimentaire le plus reconnu au Québec. Il serait souhaitable que le financement d'Aliments du Québec soit bonifié à la hauteur de son équivalent ontarien. Ceci serait un des moyens concrets de stimuler la demande des consommateurs pour les produits québécois, incluant les aliments bio.

La politique promet également des modifications à la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, « dans la perspective de laisser plus de place à une diversité des modèles d'entreprises agricoles. » (p. 32) Ceci pourra peut-être permettre, par exemple, le morcellement des terres trop grandes pour convenir à des petites entreprises de production maraîchère diversifiée; une problématique bien connue des maraîchers biologiques.

L'agriculture biologique peut apporter une contribution appréciable à plusieurs objectifs de la politique. La croissance de la consommation de produits biologiques démontre que ce secteur présente un potentiel économique fort intéressant. Toutefois, dans plusieurs secteurs, la croissance de la production biologique ne suffit pas à combler cette consommation, de sorte qu'une forte proportion des produits biologiques est importée. Considérant la durabilité prouvée du secteur bio et puisque le gouvernement a comme objectif d'accroître l’achat québécois, on peut penser à un avenir prometteur du bio québécois. Pour que cela se réalise, les gens du secteur et les consommateurs engagés devront faire valoir les mérites de l’agriculture bio auprès des décideurs gouvernementaux. Ceci s’avère nécessaire pour espérer le soutien nécessaire au secteur agroalimentaire biologique du Québec, afin de l'aider à saisir cette opportunité croissante qu'est l'engouement du consommateur pour un produit sain, écologique, sans OGM et sans pesticides.

Geoffroy Ménard,
agroéconomiste Responsable de la veille technologique au CETAB+

Numéro 191 – Juillet / Août 2013


Aujourd’hui, je vais vous parler de sécheresse. C’est une provocation, me direz-vous, car après un printemps et un début d’été froid et pluvieux, chacun aspire à de la chaleur et du ciel bleu ! En réalité, je parlerai de tous les aléas climatiques, excès ou manque d’eau, excès de froid ou de chaud. Le 25 juin, a eu lieu une réunion « transfilières » du projet « Systèmes de production », piloté par le Pôle agriculture biologique Massif Central. Ce projet a permis de réaliser un suivi d’élevages biologiques de bovins et ovins, lait et viande, de 2008 à 2012. Et comme l’a précisé un participant à la journée : « Pour étudier les conséquences des aléas climatiques, nous avons eu « de la chance » car, au cours de ces 5 ans, nous avons rencontré de nombreux cas de figure climatiques… ». Si l’essentiel de la journée concernait les résultats technico-économiques des 4 filières de production, les conséquences et les adaptations aux aléas climatiques ont été largement abordées.


Les conséquences liées à des récoltes de fourrages insuffisantes ou de mauvaise qualité se retrouvent sur deux années, l’année de pâturage et l’année où les stocks sont consommés. En élevage laitier, que ce soit en ovin ou en bovin, il n’y a pas eu de stratégie de baisse de la production. Le manque d’aliments autoproduits a été compensé par des achats (luzerne déshydratée et tourteau de soja en ovin lait notamment) ou par l’ensilage de céréales. Certaines femelles ont été vendues mais c’était généralement des bêtes peu productives et l’impact sur la production a été peu sensible. Cette stratégie pourrait néanmoins s’inverser car, d’une part, le prix des fourrages a fortement augmenté cet hiver après deux années de sécheresse et, d’autre part, le prix du lait, en bovin notamment, pourrait diminuer, la production française ayant fortement augmenté au cours des deux dernières années. Dans ce cas, le coût des achats d’aliments ne sera plus compensé par l’augmentation de production induite par la consommation de ces aliments (coût du tourteau de soja bio autour de 900€/tonne).


Dans les élevages allaitants, il n’y a pas eu de stratégie consistant à combler le manque de production par des achats, en particulier pour les concentrés. Des décapitalisations ont néanmoins eu lieu en 2011 (vente d’animaux) mais dans une faible mesure pour ce qui concerne les bovins. La forte baisse de récolte de fourrages en 2011 a été gérée par des adaptations : sur les stocks précédents, sur les pâtures (il semble qu’en période difficile, les prairies soient mieux utilisées et les pertes moindres, soit par une meilleure gestion automnale des prairies par l’éleveur, soit principalement par une meilleure valorisation des surfaces par les animaux eux-mêmes) et sur les animaux (amaigrissement des vaches et ralentissement de la croissance pour les autres animaux). Les années 2011 et 2012 ayant connu une belle arrière-saison, les animaux ont pu récupérer ensuite. Cette stratégie d’animaux qui font « l’accordéon » est bien sûr surtout valable en élevage allaitant, les élevages laitiers subissant directement toute baisse alimentaire sur la production. Néanmoins, le contexte économique actuel pourrait pousser ces derniers vers plus d’autonomie.
En attendant, que vous profitiez des paysages herbagers au cours de l’été ou de tout autre territoire, je vous souhaite une excellente saison estivale avec de belles périodes ensoleillées et un peu plus de chaleur qu’aux premiers jours de cet été.


Sophie Valleix
Responsable d’ABioDoc

Numéro 190 – Juin 2013


Le ministre français de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, a présenté, à l’occasion de l’ouverture du Printemps bio, le programme Ambition Bio 2017 (voir Rubrique Brèves). Ce programme n’a pas pour vocation de fixer de nombreux objectifs chiffrés mais d’initier ou d’accompagner une dynamique. Les objectifs chiffrés annoncés sont le doublement des surfaces en 2017 et les 20% de produits bio dans la restauration collective d’Etat. Le ministre a insisté sur le fait que le programme s’inscrit dans la démarche globale de l’agro-écologie, avec des mesures qui se font écho (indépendance protéique pour l’alimentation animale, transferts entre les agricultures bio et conventionnelle…). Même si les budgets ne sont pas extensifs, comme l’a rappelé S. Le Foll, des financements vont être orientés sur l’agriculture biologique, pour le financement des MAE liées à la bio, la structuration des filières… Seront notamment concernés les agences de l’eau, la banque publique d’investissement, le fonds CasDar… L’échelle régionale est nettement mise en avant. Les régions ont été sollicitées dès la réflexion préalable et assureront une part de l’animation et du suivi du programme, notamment sur leur territoire, en lien avec le national. Les partenariats dépassant les « clivages » habituels sont encouragés : conseil et accompagnement selon des initiatives du type des « pôles de conversion » ; contractualisation en amont et aval pour organiser et structurer la filière ; sensibilisation du jeune public en lien avec l’Agence Bio ; mobilisation d’acteurs variés dans les projets de recherche (agriculteurs, conseillers, aval, enseignants) ; intervention des acteurs bio dans l’enseignement agricole… L’Agence Bio, dont la gouvernance repose sur plusieurs structures (bio et non bio, production et filière), est confortée dans son rôle.


Ce programme fait en partie écho à la journée Fnab organisée sur la nouvelle économie et qui a eu lieu à Paris le 21 mai. Cette « nouvelle économie » concerne le changement d’échelle de l’agriculture biologique et la nécessité de ne pas perdre son éthique parallèlement à l’augmentation des volumes bio produits et commercialisés. A la fin de cette journée, JM Meynard, président du Conseil scientifique de l’agriculture biologique, a conclu que les réussites de changements d’échelle reposaient sur trois piliers : un projet éthique ; la mobilisation d’acteurs diversifiés ; la contribution au développement territorial avec une valeur ajoutée socio-environnementale (emploi, lien social, préservation des ressources…). JM Meynard a mis également en avant l’importance de la construction de partenariats dans la durée et sur la base d’un projet partagé, à la fois économique, social, éthique (transparence, confiance…). Les circuits courts sont, pour lui, un élément intéressant, et le ministre a d’ailleurs rappelé l’intérêt d’initiatives telles que le site agrilocal.fr créé au départ dans la Drôme, mais ces circuits ne sont pas suffisants actuellement. Enfin, le président du CSAB a insisté sur la nécessité d’utiliser les exemples réussis pour définir les conditions de réussite de l’action publique.


Alain Delangle, un administrateur de la Fnab, a cité, lors de cette journée, Philippe Lacombe : « Nous sommes à la fin d’un système mais nous n’avons pas encore trouvé le suivant ». Il semble que ce soit aussi l’avis d’un nombre de personnes de plus en plus important et, dans ce domaine, nous pouvons espérer que l’agriculture biologique sera, là encore, un levain d’idées, mais pas seule, car toutes les bonnes volontés et toutes les initiatives sont à rassembler pour imaginer et établir ce nouveau système. L’enjeu est de taille, mais il est vital. Le défi est grand mais il est aussi enthousiasmant…


Sophie Valleix
Responsable d’ABioDoc

Numéro 189 – Mai 2013


Alain Delebecq, le Président de l’ITAB, a ouvert l’Assemblée générale de 2013 en précisant que c’était la première AG aussi politique. En effet, la table ronde de la matinée a accueilli Luc Maurer, conseiller technique du ministre de l’agriculture et en charge notamment de l’agriculture biologique, ainsi que des agriculteurs – députés qui ont défendu dès le début la volonté de qualification de l’ITAB. Alain Delebecq a d’ailleurs précisé que cette situation était logique car, depuis ses origines, l’agriculture biologique est très liée à la société et aux débats qui en émergent.


Luc Maurer a ensuite répondu à une question liée à la place de l’agriculture biologique dans le plan plus global lié à l’agro-écologie. En effet, certains acteurs de l’AB s’inquiétaient de la place réellement réservée à l’AB dans ce projet agroécologique. Luc Maurer a alors précisé que l’agronomie est au coeur des pratiques et que le plan est basé sur des approches agro-systémiques à l’échelle de territoires et sur la recherche participative, cette dernière ayant pour but de créer du lien, avec une participation directe des agriculteurs. Dans ces perspectives, le conseiller du ministre a ajouté que l’agriculture biologique avait toute sa place dans ce projet et qu’elle était pionnière par rapport aux valeurs mises en avant dans le projet agro-écologique.


Le plan Ambition bio 2017 devrait comporter 4 volets : le développement de la production, la filière, la consommation (avec le maintien de l’objectif de 20% de produits bio dans les commandes publiques de l’Etat) et la recherche. Concernant le volet « recherche », la qualification de l’ITAB a constitué un premier geste fort, le deuxième étant l’augmentation nette de son budget (un doublement annoncé). Par ailleurs, dans les orientations 2014 – 2020, le souhait est d’augmenter les ponts entre les GAB, les Chambres d’agriculture, les CIVAM et les Instituts techniques.


M. Pottier, agriculteur bio et député de Meurthe et Moselle, estime que 20% des fonds affectés à la recherche devraient être utilisés pour l’agriculture biologique si on veut un jour atteindre les 20% de surface en bio. Pour cet agriculteur, si seule une partie des moyens était affectée à l’agriculture biologique, les possibilités de progression seraient importantes.


L’importance de la formation a ensuite été abordée et Luc Maurer a cité les principaux points d’amélioration envisagés : le développement de l’AB dans l’enseignement supérieur agricole ; la nécessité d’aider les enseignants de tous niveaux à aborder l’AB face à des apprenants ayant encore régulièrement de forts préjugés à l’encontre de l’agriculture biologique ; l’enseignement des premières bases dès l’école primaire. Concernant le développement agricole, Luc Maurer a estimé que les rôles de vendeur de produits et de conseil, notamment dans une vision systémique, devaient être bien séparés.


Le besoin de mettre en cohérence les recherches européennes, voire internationales sur l’AB, a été abordé, ainsi que le problème du foncier comme frein à l’installation, la nécessité des ressources génétiques bio et l’importance de prévoir des schémas de recherche longs, de 5 à 7 ans.
Globalement, même si des améliorations seront toujours à envisager, les acteurs de la bio espèrent que la recherche en agriculture biologique va réellement prendre de l’ampleur, la qualification de l’ITAB devant favoriser cet élan.

Sophie Valleix
Responsable d’ABioDoc

Numéro 188 - Avril 2013